
Le charme discret de la photographie muséale : le cas du fond
Le choix du fond a une influence considérable sur le rendu d’une photo. Qu’il soit en papier, en velours, en formica, en PVC, couleur « blanc arctique » ou pourpre royal. Dans le cas de la photo muséale, c’est aussi une lucarne intéressante pour observer l’évolution des pratiques, au fil du temps et des opérateurs. La preuve à la fin de l’article.
Éloge de la discrétion
Si le lecteur a l’impression de regarder l’œuvre elle-même lorsqu’il feuillette un catalogue, c’est que le photographe a bien travaillé. Ce métier demande à être sinon invisible, du moins caché derrière ce qui est photographié. Lors de mes années d’étudiant en photographie, je n’associais pas la reproduction des œuvres d’art que je pouvais apercevoir dans le métro, avec la discipline que j’étais en train d’étudier. J’étais en contact direct avec l’œuvre, et l’affiche en présentait une sorte d’empreinte arrivée là par magie. J’évacuais totalement l’étape de l’interprétation qui constitue aujourd’hui l’essence de mon métier actuel.
La photo d’une œuvre est comme l’exécution d’une partition
L’analyse du fond (sa luminosité, sa teinte, son dégradé, fond in-situ ou fond en papier…) est l’indicateur le plus évident pour appréhender le style d’un photographe de nature morte. Pour résumer, ce travail consiste à sublimer les œuvres et les pièces du patrimoine qu’on lui confie. Ce genre de mission laisse en principe peu de place à la fantaisie. Sauf qu’il existe en réalité plein de petites brèches qui permettent de deviner l’individu et son approche artisanale, ou même l’époque et ces tendances datées. Tous ces signes qui révèlent des personnalités derrière un exercice pas si standardisé. Comme l’exécution d’une partition musicale, si la photographie muséale requiert avant tout le respect et la compréhension de l’œuvre originale, elle demande aussi à l’opérateur d’apporter son approche propre, afin d’offrir un résultat vivant.
Les usages en vigueur de nos jours
Actuellement, les fonds gris clairs sont assez prisés. Le fameux dégradé vertical qui donne un peu de vie à la nature morte est toujours d’actualité. Il a toutefois évolué, et est maintenant plus sage que son aïeul des années 2000, qui allait du blanc neige au noir absolu en une image ! Les fonds en plastiques avec un dégradé déjà « dessiné » n’ont plus trop la côte non plus. Aujourd'hui, les fonds que nous utilisons sont en papier, ils se présentent sous la forme d’un rouleau, et les teintes vont du gris très clair au gris très foncé, pour s’adapter à la teinte de l’œuvre shootée. Certains le travailleront quasiment uni, d’autres avec des dégradés plus prononcés, certains aiment lui donner une teinte froide (bleu ou cyan) d’autres le préfèrent gris « neutre » (c’est à dire sans dominante colorée…). Rien qu'avec ces subtiles nuances émerge un style, qui me permet de reconnaître le photographe qui a opéré, simplement en observant comment le fond a été "travaillé".
Pratiques anciennes et exotiques : une archéologie des photos d’œuvre
C’est en préparant un shooting, et en rassemblant les anciennes vues d’une œuvre à photographier le lendemain, que je me suis rendu compte que la discipline était sujette à la mode, ou au moins, à des usages dominants. Les photos en question, si elles demeuraient bien éclairées, apparaissaient immédiatement comme datées. Par exemple, les fonds totalement noirs, de couleur bleu vifs, ou même en moquette rouge m’ont bien dépaysé. Plus près de nous, le halo lumineux sur le fond pour détacher l’œuvre est une grosse tendance du début des années 2000. Ces fonds sont en quelque sorte le carbone 14 de l’image muséale. D’autres signes permettent également de décortiquer le travail de reproduction d’une œuvre : la douceur de la lumière, le traitement des ombres ou des reflets, le format d’image employé… C'est toute une grammaire feutrée qui est à déceler sur les cartes postales des boutiques de musée, ou sur les affiches en 4 par 3…
La reproduction d’une œuvre d’art a un objectif clair : offrir au spectateur un lien immédiat, non parasité avec une œuvre qu’il ne peut aller observer directement. En l’absence d’une norme ISO qui ne verra heureusement jamais le jour, l’exercice est sujet aux usages, à l’inspiration du moment, à l’humeur du jour et donc aux modes. Ces dernières revenant de manière cyclique, attendez-vous à voir prochainement des œuvres reproduites sur fond de moquette rouge.
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